Fiche technique :
- Titre : 8 Femmes
- Réalisation : François Ozon
- Interprétation : C. Deneuve, I. Huppert, F. Ardant, E. Béart, F. Richard, L. Sagnier, D. Darrieux et V. Ledoyen
- Scénario : François Ozon, Marina de Van, d'après la pièce de théâtre de Robert Thomas
- Dialogues : François Ozon
- Photographie: Jeanne Lapoirie
- Costumes : Pascaline Chavanne
- Décors : Arnaud de Moléron
- Musique : Krishna Levy
- Date de sortie en France : 6 février 2002
- Film français
- Genre : Comédie policière, comédie musicale
- Durée : 103 minutes
Le projet de Ozon est original : il s’agit de faire naître une redondance, ou plutôt un amalgame, dans l’esprit du spectateur qui regarde un film joué par des actrices célèbres dont le sujet syncrétique porte sur ces mêmes actrices célèbres. Une sorte de mise en abîme en quelque sorte. A cet effet, l’intrigue assez pauvre et très boulevardière (tirée d’une pièce de R. Thomas) n’est qu’un prétexte pour mettre en valeur ces vedettes féminines dont Ozon nous régale. A-t-on déjà vu en France pareil casting ? La plupart de mes interprètes françaises préférées sont ici réunies : C. Deneuve, I. Huppert, F. Ardant, E. Béart, F. Richard, L. Sagnier, D. Darrieux et V. Ledoyen… (et aussi Romy Schneider, qui apparait en photo et qui joue un certain rôle). Ce gotha, cette crème nous est servie sur un plateau « Agatha Christien » par un réalisateur qui aime filmer les actrices et qui souhaite leur rendre hommage, à elles comme au 7ème art en général. Retour rapide sur un métrage malin comme tout.
Synopsis
Années 50. Coupées du monde extérieur, huit femmes se retrouvent dans une villa isolée où le meurtre du maître de maison vient d'être commis. Une des huit femmes est coupable. Mais toutes mentent effrontément sur leur réel emploi du temps et toutes ont un motif valable de l’avoir tué. La journée d'enquête commence, de disputes en trahisons, de révélations en faux-semblants. Les masques tombent, et les liens se tissent ou se détruisent. Toutes dévoilent leur vrai visage. Mais laquelle est coupable ?
Secret Story
Pour commencer, ces huit femmes ont chacune un secret. Elles sont enfermées dans un lieu clos, très proche du décor de studio (la référence à l’œuvre de Hitchcock est évidente), où elles se jalousent, se suspectent, se disputent ou s’embrassent, tandis que le spectateur-voyeur attend une révélation finale. En un mot, il s’agit presque d’une version ciné de Secret Story ou du Loft. (N’oublions pas que le premier long métrage de Ozon était Sitcom, dans lequel la famille, la sexualité et le genre lui-même de la sitcom étaient mis à mal). Au-delà du clin d’œil, on peut voir que Huit Femmes intègre les rouages et la dynamique d’une bonne grosse télé-réalité ou d’une série à épisodes. La théâtralité est donc poussée à son paroxysme, tant en ce qui concerne l’interprétation que le scénario et la réalisation à proprement parler. Les égos sont contraints, l’ambiance est délétère, quasi-artificielle (la photo et la lumière elles-mêmes, très claires et technicolor, rappellent l’image employée pour les sitcoms) et l’on s’attend à tout moment à un clash en direct entre ces célébrités du grand écran. La mayonnaise prend et l’on n’est pas loin d’imaginer derrière la rivalité qui les anime celle qui pourrait entourer leur quête de popularité dans le cœur des français. Certes, elles n’ont pas conservé leur véritable nom, néanmoins, le tour de force du réalisateur est de faire naître un amalgame entre les personnages qu’elles interprètent, les actrices qu’elles sont réellement, et les grands rôles qui ont jalonné leur carrière respective. Le tout savamment dosé. Evidemment, notre mémoire et notre culture ciné sont ici sollicitées sous forme d’hommages, (costumes et coiffures sont eux-mêmes des clins d’œil cinéphiles), mais aussi notre côté voyeuriste avide de « people ». (Ne doutons pas qu’il s’agisse-là d’une subtile critique que nous adresse Ozon). Visiblement, le réalisateur s’est éclaté à jouer avec toute cette matière à disposition. On l’imagine aisément, petit garçon un brin pervers agenouillé devant une maison de poupées, tordant dans tous les sens leur superbe plastique tout en riant sadiquement de l’orchestration de son huis-clos. Et quelles poupées !
La maison de poupées
Dans le No man’s land de Ozon, les poupées sont numérotées de un à huit, (sans pour autant déterminer de premiers et de seconds rôles), et chacune d’elles représente une certaine image de l’actrice et du cinéma à des époques différentes. Poupée parmi les poupées, Catherine Deneuve est la star incontournable, l’icône française. Si chacun a déjà entendu une chanson de Johnny, chacun a également vu un film avec La Deneuve au cours de sa vie. Les plus grands réalisateurs l’ont utilisé (Demy, Buñuel, Melville, Polanski, Truffaut, Ferreri, Aldrich, De Broca, Rappeneau, Téchiné, etc.) et ce, alors même que Ozon (né en 1967) n’était qu’un enfant puis un adolescent. Manifestement, il fut marqué par cette impressionnante filmographie puisqu’il s’amuse à faire redire à sa poupée, pour le compte de sa propre histoire, des répliques qu’elle a tenu dans d’autres réalisations cultes (entre autres La Sirène du Mississippi et Le Dernier Métro de F. Truffaut). Ici, l’exercice de style n’est pas gratuit et permet l’amalgame et la mise en abîme souhaités. Dés-lors, en offrant systématiquement à chacune de ses poupées un rôle en parfaite concordance avec sa filmographie, tout en faisant revivre les plus beaux moments de sa carrière, Ozon dresse un inventaire à la fois kitsch et hardcore du cinéma, très révélateur de sa propre culture cinématographique, et rend un hommage appuyé et original aux actrices.
Nous l’avons dit, dans cette maison de poupées se développe l’imaginaire de l’enfant cinéphile, une sorte de Cinéma Paradisio des premières années d’émois et de désirs. Il n’est alors guère surprenant que le petit garçon Ozon n’ait pas résisté à l’envie de voir s’embrasser deux égéries du cinéma français, C. Deneuve et F. Ardant. L’occasion était trop belle de réaliser un fantasme puéril, pour lui comme pour nous. Le spectateur, alors, n’assiste pas tant à une étreinte un peu hot entre deux personnages de fiction qu’à un authentique baiser que se donnent deux formidables actrices qui ont marqué notre imaginaire collectif. De même, le rapport ambigu mère-fille rejoué de façon trash par C. Deneuve et D. Darieux, trente cinq ans après Les Demoiselles de Rochefort de J. Demy, autre comédie musicale, est plutôt bien vu. Décalé semble être le mot. Sans doute y aurait-il beaucoup à dire sous l’angle psychologique à propos de la libido de cet enfant-adolescent tant l’érotisme et la sensualité en viennent parfois à s’imposer dans son esprit joueur. (Mention spéciale pour E. Béart, très sensuelle en femme de chambre, qui rappelle Le Journal d’une femme de chambre de Buñuel). D’une manière générale, on peut voir dans cette maison de poupées un véritable laboratoire expérimental qui opère joyeusement des coupures à vif dans la chaire même du cinéma. Par-delà, la jouissance de Ozon lorsqu’il s’amuse à rejouer certaines scènes ou passages de films, (tels que Women de G. Cukor, La femme d’à côté de Truffaut ou Soupçons de Hitchcock), est quasi-palpable et surtout contagieuse. Chacune des poupées ayant droit à son lot d’allusions ou de références que je vous laisse découvrir ou redécouvrir par vous-mêmes. Simplement, puisqu’il s’agit d’un jeu, même s’il est parfois cruel comme peuvent l’être les enfants (humour souvent cynique des dialogues), pourquoi ne pas le faire en chansons ? Le petit démiurge, toujours à genoux devant la maisonnette, s’adresse alors à ses jouets : « Maintenant les poupées, vous allez chanter ! »
Radio Nostalgie
Bien-sûr, l’aspect comédie-musicale de Huit Femmes peut dérouter. Il faut jouer le jeu avec Ozon et se laisser emporter. (En outre, la B.O s’est plutôt bien vendue dans les bacs). Chacun sait que ce sont les actrices elles-mêmes qui ont interprété leur propre chanson et le résultat est à la fois drôle, étonnant et touchant ; certaines, C. Deneuve ou L. Sagnier notamment, ne manquant pas de talent. Dans l’imaginaire du petit garçon, on assiste alors à un glissement de sensibilité qui conduit du cinéma à la chanson populaire contemporaine de son enfance (années 70, génération « scopitone »). A chaque actrice un classique d’une chanteuse célèbre de l’époque se voit alors attribué, de Nicoletta à Françoise Hardy, en passant par Dalida ou Sheila, et l’on croirait entendre la bande-son de l’après-midi de Radio Nostalgie ou tourner les pages jaunies d’un vieux numéro de Salut Les Copains. Une fois de plus, Ozon en rajoute des tonnes par le biais de ses actrices (qui ont manifestement pris plaisir à leur tour de chant), et continue de nourrir un décalage qui ne cesse de fonctionner. Mais alors que le petit garçon s’en donne à cœur joie, une voix s’élève qui l’appelle : « François, descends manger, le film va bientôt commencer ! » Le moment est alors venu de clore l’histoire et de révéler vite-fait le pot aux roses de l’intrigue, mais là n’était pas l’essentiel.
Pour conclure, on dira qu’il faut accepter d’être un peu déstabilisé (dés le générique ultra-kitsch) pour goûter totalement ce bijou de cinéma et d’humour. Une fois entré dans l’univers du petit garçon, l’ensemble semblera hautement jubilatoire et précieux dans le panorama du cinéma français. Paradoxalement, on peut dire aussi qu’il s’agit d’un film très « adulte » qui, au-delà de l’invention des règles du jeu que nous découvrons, nécessite une grande maturité sur le plan de la construction et de la gestion pleinement cohérente des thèmes pourtant pléthores qu’il entend aborder. Pour finir, je vous propose de comparer le scopitone de la chanson T’es plus dans le coup Papa, interprétée par Sheila en 1963, avec la version de L. Sagnier dans le film de Ozon. Dynamisme et chorégraphie en disent long sur l’humour décalé qui anime sa maison de poupées.
Sheila:
Ludivine Sagnier: