Fiche technique :
- Titre : The Truman Show
- Réalisation : Peter Weir
- Interprétation : Jim Carrey, Ed Harris, Laura Linney, etc.
- Scénario : Andrew Niccol
- Production : Andrew Niccol
- Musique originale : Burkhard Dallwitz
- Film américain
- Genre : comédie, science-fiction, drame
- Durée : 103 minutes
- Dates de sortie : États-Unis : 5 juin 1998 / France : 28 octobre 1998
Truman Burbank mène une vie calme et heureuse. Il habite dans un petit pavillon propret de la radieuse station balnéaire de Seahaven. Il part tous les matins à son bureau d'agent d'assurances dont il ressort huit heures plus tard pour regagner son foyer, savourer le confort de son habitat modèle, la bonne humeur inaltérable et le sourire mécanique de sa femme, Meryl. Mais parfois, Truman étouffe sous tant de bonheur et la nuit l'angoisse le submerge. Il se sent de plus en plus étranger, comme si son entourage jouait un rôle. Pis encore, il se sent observé.
Tant dans la forme que dans le fond, j'ai particulièrement aimé ce film qui, à mon sens, se prête à une lecture quasi-philosophique. Tout d’abord, entre Big brother et Loft-story, il pointe du doigt les dangers de la télé-réalité et du voyeurisme. Mais surtout, au-delà de cette critique devenue classique (dix ans nous séparent déjà du film), The Truman Show illustre dans sa première partie la problématique du solipsisme, notion égocentrique où la conscience du sujet pensant se définit comme l'unique réalité. Dit autrement, il n'existerait aucun monde hors de la conscience. Intriguant. De même, le métrage donne ensuite à voir toute la difficulté de s'intégrer et de vivre dans un monde "déjà-là", déjà donné, et finalement interroge, que pouvons-nous espérer être dans ce monde ? Le monde qui nous entoure peut-il effectivement se trouver en adéquation avec ce que nous sommes ? Qu’est-ce aussi que devenir adulte ? Tout commence, comme dans Matrix, par la prémisse de base du métrage qui présuppose une sorte de vaste conscience collective et symbolique qui manipule le héros à son insu. Sa vie est fabriquée de toutes pièces depuis sa naissance afin d’être filmée et dévoilée au monde entier à son insu. Tout n’est que faux-semblants, trompe-l’œil et illusions dans l’univers de Truman, c’est un rat de laboratoire (studio télé) sur lequel on expérimente le divertissement du peuple et toute sa vie est régie par un seul homme, Cristof le réalisateur démiurge de l’émission, le dieu trompeur cartésien. Le monde est la co-création de Truman, son rêve, en corrélation directe avec ce qu’il est ou croit être. Ici, la mise en scène de the Truman show prend tout son relief. Vu sous un angle beaucoup plus général, on pourrait se demander dans quelle mesure pouvons-nous être nous-mêmes les créateurs du monde qui nous entoure? Finalement, un monde existe-t-il en dehors de ma conscience ? Telle est en substance l'hypothèse de The Truman show, où le héros apparait intimement lié à tout ce qui se produit autour de lui. A vrai dire, le boulanger qui nous a parlé ce matin, le voisin qui nous a salué sur le palier, l’être cher que nous avons embrassé au réveil, etc. jouent-ils un rôle hors ma conscience ? est-ce nous-mêmes qui leur avons assigné un tel rôle ou bien un dieu trompeur ?
Avant de savoir si l’on peut douter que des phénomènes perçus soient réellement situés au-delà de notre faculté de perception, affirmons d’emblée qu’à suivre ces pistes, nous ne trouverons certainement aucune vérité dans le fond mais ces questions seront en mesure ensuite, selon la dialectique du film, de nous mettre sur le chemin du vrai. La première d’entre elles consiste à savoir s’il existe effectivement un monde hors de ma conscience, ou plus précisément, le mode d’apparaître du monde est-il ou non une illusion ? Descartes, en prenant l’exemple de la faculté du rêve à nous rendre dupes, tente de démontrer qu’il est possible que des représentations de l’esprit produisent l’impression des choses perçues à l’extérieur de celui-ci alors qu’elles restent en réalité un phénomène interne à l’esprit et causé par lui-même. On ne pourrait de ce fait conclure à partir de l’impression d’extériorité des phénomènes que cette extériorisation est effective. Que signifie alors le terme « exister » quand on l’applique aux choses perçues ? Si je dis que cette pomme ou cette bougie existent, je veux en fait signifier par-là qu’un certain nombre de propriétés (couleur, forme, saveur, etc.) apparaissent à mes sens. Mais même si elles apparaissent comme extérieures, leur apparaitre est-il une opération qui se produit à l’extérieur de ma perception ? Non, car elles apparaissent en tant qu’elles sont perçues. Une couleur, par exemple, n’existe pas en dehors du fait qu’elle est perçue (par exemple, les couleurs des molécules n’apparaissent pas au microscope); ce qui signifie que le vert de la pomme ou le nacre de la cire ne sont pas des réalités en soi. Sans personne pour les percevoir, elles n’existeraient pas. Cette logique amène un philosophe comme Berkeley à affirmer que l’existence n’est rien en dehors de l’ordre de perception et rien non plus au dehors du « perçu ». Je suis le monde. N’est-ce pas aussi ce qu’il nous est arrivé de croire lorsque nous étions enfants ? Est-il possible que nous soyons tous des Truman ?
En poursuivant notre logique, on pourrait émettre l’hypothèse selon laquelle l’impression d’extériorité (du monde), serait causée par notre structure perceptive elle-même. Ainsi, Kant raisonne de la manière suivante : l’espace qui structure le monde n’est pas une réalité extérieure puisqu’avant toute expérience sensible, cette réalité doit être présupposée comme forme de la représentation pour expliquer la possibilité de « rapporter certaines sensations à quelque chose d’extérieur à moi. » Il y aurait une sorte de preuve intuitive de ce que l’espace relève de la forme de notre représentation, en effet nous pouvons aisément imaginer une absence d’objets dans l’espace, alors que nous ne pouvons pas imaginer l’absence d’espace lui-même. Si l’imagination de cette absence est impossible, c’est que c’est l’imagination elle-même qui est spatialisante. Schopenhauer utilise cette logique kantienne pour en déduire que le monde n’est qu’une représentation, représentation qui ne dure qu’autant que dure l’esprit et qui cesse avec sa mort. Une pièce de théâtre en quelques actes, un show minuté, voilà qui nous place plus que jamais dans la dynamique philosophique dont le film se fait le témoin.
En effet, le problème cartésien de l’extériorité illusoire du rêve, la difficulté d’attribuer une autre signification au terme « exister » que l’acte de perception ainsi que la représentation de l’extériorité comme forme intrinsèque de notre structure perceptive semblent être des arguments suffisants pour mettre en doute, pour un temps, notre croyance naturelle en une extériorité du monde par rapport à notre conscience, et valider ainsi la métaphore du film. Mais le voile jeté sur le réel fini par tomber nécessairement. Dés-lors, ce que le métrage nous donne à voir dans sa seconde moitié est ce qu’il faut appeler une « prise de conscience ». Truman vit une seconde naissance dans laquelle il découvre qu’un monde peut bien exister en dehors de la conscience, c’est certain, mais que ce monde n’en reste pas moins lié à la conscience qu’il en prend. Plus généralement, je ne peux pas changer le monde arbitrairement, soit, mais je peux changer ma conscience du monde et justement ce changement de conscience peut lui-même tout changer. Avec cette thèse, nous finissons nécessairement par tomber d’accord. Certes, j’ai un immense pouvoir de décision dans l’ordonnance de mon existence, et il est clair qu’il n’y a pas un monde seulement dans ma conscience. Ici, le film pourra apparaitre comme un film initiatique, dans lequel on voit un héros éclore à l’âge adulte et renoncer tant bien que mal à certaines illusions de l’enfance. Le monde ne se joue pas exclusivement pour nous et ne répond pas avec notre volonté. Une catastrophe naturelle, par exemple, se produit bien à l’extérieur de notre esprit alors même que celui-ci ne l’a pas souhaitée et qu’elle s’est produite tout de même contre sa volonté. En d’autres termes, un monde qui ne coïncide pas en tout avec notre volonté ne peut-être causée que par un principe indépendant de celle-ci. Le monde perçu est nécessairement une réalité extérieure à mon esprit. En ce sens, le Cogito cartésien ne serait pas premier et autosuffisant, mais secondaire et s’obtenant artificiellement grâce à un fond préréflexif qui le précède. C’est ce que suggère Merleau-Ponty lorsqu’il affirme que le monde n’est pas quelque chose de la conscience mais, au contraire, la conscience est quelque chose du monde. Reste que le metteur en scène de ma vie n'est pas au-dehors de moi, il n'est pas sur des nuages, dans sa tour de contrôle en train de me manipuler. Il est en moi. On constate sous cet angle à quel point le film est une appréciable apologie de la liberté, (sans parler de la dimension affective qui est le moteur même dans le « scénario » de la prise de conscience). Il ne s’agit pas tant de rêver de s’échapper hors du monde présent en disant que tout est factice dans la société moderne qui est sous nos yeux, que de prendre « conscience », comme Truman, qu’il n’existe aucun déterminisme caché et que l’on est toujours libre d’essayer de « se refaire ».