En complément de l’article précédent consacré à la scène du mix de Cut Killer située à 38’40’’ du début du film La Haine ( LA HAINE, de M. Kassovitz – Phénoménologie du point de vue de la musique ), voici la retranscription de l’analyse de cette séquence par Frédéric Bas, enseignant et critique de cinéma. Cette analyse est un extrait du cours de cinéma du Forum des images donné en 2009 à l’Institut National d’Histoire de l’Art (Paris). On est d’accord ou pas – personnellement je n’adhère pas à l’intégralité de la critique – toutefois sur quelques points, c’est très intéressant. Je vous laisse juger :
« Techniquement, ce plan est intéressant. Ici, pas d’esthétique très hachée du clip. C’est l’un des plans les plus virtuoses du film. On se demande bien comment il a fait. Bon, il (ndrl : M. Kassovitz) a mis beaucoup de budget de son film dedans. Et il a beaucoup expliqué qu’il a mis tout le paquet de l’argent pour la « cité » et qu’il n’y avait presque plus rien pour « Paris ». C’était un choix au bout d’un moment. Chaque jour de tournage de cette scène, qui est réalisée grâce à un petit hélicoptère belge, en plus avec un re-travail pour la première fois sur palette graphique. Kassovitz était fou parce qu’on voyait l’ombre de l’hélicoptère sur la devanture, donc, ils ont nettoyé les images une par une, pixel par pixel, et à l’époque cela coûtait très cher, ce n’était pas comme aujourd’hui. Donc, il y a un plan technique et en plus Kassovitz n’était pas content du tout du plan parce que, normalement, l’hélicoptère devait arriver au-dessus des deux acteurs et les filmer en hauteur. Kassovitz dit qu’il est énervé quand les gens viennent lui dire que c’est une scène formidable. Pour lui, c’est une séquence ratée, même si elle est formidable quand même.
Alors ce qui est intéressant dans l’usage du son dans cette scène, c’est qu’il ne fait jamais cette facilité de mettre de la musique qu’on appelle extra-diégétique, c'est-à-dire de la musique que les personnages n’entendent pas. Et là, dans la scène c’est vrai, les personnages entendent la musique, c’est quelque chose d’extrêmement important dans la scène. La musique sort de la fenêtre et après il n’y a pas que cette musique, si on écoute bien il y a plein d’autres choses. On est dans une esthétique sonore très riche avec plein de petits sons, plein de petites choses. Puis évidemment, dans la musique utilisée, le mix, c’est un mix de trois titres : il y en a un, pas besoin de préciser, il s’agit d’Edith Piaf, « Je ne regrette rien », qu’il met comme un clin d’œil, je ne regrette rien c'est à dire on a fait des conneries mais on ne regrette rien. Je précise bien que c’est dans ce sens-là. Et puis sur la vie, sur la cité, on entend dans les médias que c’est pourri, mais on ne regrette rien, c’est notre vie et on l’aime. Je crois que c’est quelque chose qui est, du point de vue du message ou de la morale du film, c’est quelque chose de très important. Cette idée que la cité est le Bon-Dieu. Et puis, les deux autres morceaux, et bien on a entendu le scratch, c’est « Nique la police » de NTM. C’est une manière de marquer le territoire avec un langage – aujourd’hui on a besoin de sociologues pour nous expliquer ce que c’est que ce langage et qu’on peut sortir de l’idée : c’est bien, c’est pas bien. Essayons de comprendre ce que cela veut dire et qu’est-ce que c’est, et puis simplement récolter déjà. Et un troisième morceau du groupe Assassin (ndrl : « Justice Nik sa mère ». En outre, l’analyste oublie de mentionner un quatrième morceau présent dans le mix : « Sound of the police », de Krs One). »
Pour conclure, d’une manière générale, je voudrais souligner que les diverses réflexions et critiques de spécialistes qui ont été faites autour de l'ensemble du film se méprennent, à mon humble avis, sur les prémisses de base de l’analyse : Kassovitz n’a pas réalisé a proprement parler un film de banlieue(s) mais un film de cinéma. Sur ce point en particulier, j'irai même jusqu'à dire qu'il s'agit encore aujourd'hui de sa meilleure oeuvre.