Présentation
A la frontière qui sépare le Texas et Mexique, les trafiquants de drogue ont depuis longtemps remplacé les voleurs de bétail. Lorsque Llewelyn Moss tombe sur une camionnette abandonnée, cernée de cadavres ensanglantés, il ne sait rien de ce qui a conduit à ce drame. Et quand il prend les deux millions de dollars qu'il découvre à l'intérieur du véhicule, il n'a pas la moindre idée de ce que cela va provoquer... Moss a déclenché une réaction en chaîne d'une violence inouïe que le shérif Bell, un homme vieillissant et sans illusions, ne parviendra pas à contenir. Moss doit désormais échapper à ceux qui le pourchassent, notamment à un tueur mystérieux qui décide du sort de ses ennemis en jouant leur vie à pile ou face...
Notre critique
No Country for old men - Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme, réussit un tour de force exemplaire consistant à mener une réflexion quasi-philosophique sur la violence et son évolution actuelle, - dans laquelle le vieil homme (le shérif désabusé interprété avec justesse par Tommy Lee Jones) ne se retrouve plus - autour d'un thriller course-poursuite rigoureux teinté d'un humour toujours décalé. Les grands espaces US, magnifiés dans la scène d'ouverture par la photographie de Roger Deakins, ont d'emblée une portée métaphysique : que fait l'homme sur terre, n'a-t-il vocation que pour le mal? Les plans qui suivent offrent les prémisses d’une réponse : les traces noires laissées sur le sol par les bottes d’un homme qui lutte contre la Mort, innombrables et désordonnées, symbolisent le vain combat des hommes perdus dans leur violence. La vision des frères Coen contient un pessimisme revendiqué dont le shérif est le témoin privilégié. Le propos de ce dernier est nostalgique, la violence qu'il connait, qu'a connu son père avant lui, est sans commune mesure avec celle à laquelle il doit faire face (un carnage en plein désert où même les chiens ne sont pas épargnés – marrant d’ailleurs de constater que, dans la salle, les spectateurs sont plus émus de la mort des canidés que de celle des êtres humains). Le tueur "à la carabine à air comprimé", interprété avec maestria par Javier Barden, aussi effrayant qu’hilarant, vient illustrer la forme pure du mal. Cet exterminateur qui vient de nulle part et qui ne va nulle part n'est d'ailleurs pas sans rappeler, mais sur un autre ton, le "Motard de l'Apocalypse" de Arizona Junior (1987). Rien ne pourrait détourner ce tueur ahurissant de sa mission. Il est increvable, il est irréductible (en l'homme). L'ancien adjoint du père du shérif nous livre alors une clé : La violence a toujours été et sera toujours; en son fond, elle reste intacte. Ce n'est qu'au niveau des formes qu'elle est différente et méconnaissable. Il existe une Histoire de la violence (cinématographiquement en vogue - cf : Cronenberg), de Abel et Caïn jusqu'aux dernières guerres (Vietnam et Irak). Il ne s'agit alors que de s'adapter. Encore.
Dans No Country, les Coen se font à nouveau l'écho de la totale incompréhension d'une génération (1980) à l'égard d'une société devenue démente, une société où ne sont épargnés ni les vieilles ni les chiens. A travers cet instantané d'une forme sans cesse renouvelée de la violence (qui en révèle l'essence), le shérif pseudo-philosophe est un peu le coryphée des tragédies grecques de l'Antiquité (laquelle, à l'instar de l’œuvre des Coen, ne fonctionnait que par symboles), un porte parole de la nostalgie assumée d'un passé où tout semblait plus simple, même si ce ne fut jamais réellement le cas.
Les Coen ont donc fait un film métaphysique s'ancrant à des thèmes du western assez « fordiens » et crépusculaires. En substance, c'est un film sur le mal, ou plus précisément sur l'essence de la violence. On sort de la projection de cet opus avec un sentiment de fin du monde, finalement assez proche de Apocalypse Now (même vision pessimiste et post-Vietnamienne). A ce titre, la fin aussi brutale qu’audacieuse permet à la forme du film de rejoindre le fond. En un mot ou presque, les Coen semblent avoir retrouvé toute leur virtuosité. Profitons-en.